EPILOGUE


Cette ligne n'aura finalement pas beaucoup servi. Les trains militaires qui ont effectivement emprunté la ligne depuis sa création ne suffiront pas à justifier à eux seuls la construction d'un tel ouvrage militaire et ferroviaire. Même dans le cadre d'une exploitation voyageurs et marchandises, cette ligne aura été le cauchemar de la Deutche Reichbahn puis de la Deutche Bundesbahn qui préférera exploiter le tronçon principal Weizen-Zollhaus par la route compte tenu du peu de voyageurs empruntant la ligne et du détour important infligé par le tracé près de trois fois plus long que par la route. Les coûts d'entretien exorbitant pour maintenir les ouvrages d'art en état plomberont les bilans de l'exploitant à qui incombe tout de même la responsabilité. Pour reconquérir la clientèle, la Deutche Bahn tentera vainement dans les années 50 pendant quelque temps une expérience elle aussi unique: la circulation de bus conçus pour rouler alternativement sur les routes et les voies ferrées, les fameux "Schie-Stra-Bus" (Schienen-Straßen-Bus). Ces bus qui effectuaient le trajet Waldhut-Immendingen empruntaient une bonne partie du tracé de la ligne stratégique et quittaient la voie ferrée à Weizen pour prendre ensuite la route plus courte et surtout plus rapide que la ligne jusqu'à Zollhaus. De là, ils remontaient sur les rails et filaient jusqu'à Immendingen.

Desservant une zone rurale peu peuplée, mal orientée et mal placée par rapport aux courants de trafic de l'époque, elle ne sera jamais vouée à jouer un rôle important dans le trafic international et local des voyageurs et même des marchandises, en dehors d'un rôle purement militaire qui n'a pas beaucoup été mis en évidence compte tenu de la façon dont l'histoire s'est déroulée entre 1870 et 1945.

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La ligne stratégique restera comme la ligne maginot un bel ouvrage né de l'ingéniosité des ingénieurs et des militaires, un projet fou pour tenter de dissuader l'adversaire et de consolider ses défenses, une sorte d'atout que l'on garde en réserve au cas où. La ligne stratégique restera un ouvrage exceptionnel, extraordinairement bien pensé, mais inutile dans une époque comme la notre, une sorte de pièce dans un échiquier destinée à jouer un rôle important dans une stratégie qui a été pensée à un instant donné mais qui n'a jamais été utilisée parce que le jeu s'est finalement déroulé autrement et surtout parce que cet élément sur lequel toute la stratégie était fondée n'était pas capable de s'adapter à une nouvelle donne politique, géographique et militaire. Même vingt-cinq années plus tard après son achèvement, en pleine guerre mondiale de 1914, cet élément de la stratégie militaire allemande n'a joué un rôle important qu'au tout début du conflit, mais moindre par la suite compte tenu des lignes de front qui se sont déplacés vers le centre de la France, relégant la ligne stratégique en arrière plan.

Cette ligne restera cependant un chef d'oeuvre du génie ferroviaire allemand rendu accessible à tous grâce à la bonne volonté d'une poignée d'amateurs de chemin de fer qui font revivre sur ces 25km la nostalgie du passé et qui permettent de mettre en valeur la volonté d'un peuple et d'une armée à établir des infrastructures capables de s'affranchir des contraintes les plus dures. Le Wutachtalbahn, un tracé grandiose dans un paysage de campagne qui ne manque pas de charme, le tout exploité par une association très bien organisée et très acceuillante. Voilà les recettes d'un succès actuel qui revigore quelque peu l'économie d'une vallée rurale mise à mal par le progrès et qui permet de sortir de l'anonimat une vallée méconnue et mise à l'écart, qui ne manque pourtant pas d'attraits. Un succès qui rend hommage à la technicité du rail, à cette voie ferrée tout-à-fait exeptionnelle et aux cheminots qui l'exploitent.

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* Photo ci-dessus: la Br 86 n° 333 vient juste de déboucher du court tunnel de Grimmelshofener avant d'arriver sur le pallier de la gare de Grimmelshofen toute proche.

* Photo du milieu de page, à gauche: Photos d'archive illustrant les circulations ferroviaires et "routières" à différentes époques du 20ième siècle.

 

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